Par Francis Petiot (libraire FNAC Montpellier)

« Simple mortelle », de Lilian Bathelot, est arrivé par la poste, accompagné d’une carte de l’éditeur me souhaitant bonne lecture et bonne année, ou inversement. Glissant d’abord la carte à l’intérieur du livre, lui attribuant ainsi un prochain rôle de marque-page, j’ai ensuite posé naturellement « Simple mortelle » sur la pile des bouquins en attente de lecture, l’exposant ainsi à la menace de s’y retrouvé noyé, submergé par le flot régulier des nouveaux arrivants, n’ayant pas quant à moi pour seule activité la lecture... Néanmoins, il partait avec un petit avantage. Plusieurs, en vérité : la qualité éditoriale de l’éditeur – la manufacture des livres, le statut de régional de l’étape de l’auteur et l’excellent souvenir d’un précédent opus d’icelui – « Terminus mon ange » – qui contribuèrent à lui maintenir la tête hors de l’eau tandis qu’une autre pile naissait doucement à ses côtés.
Mais, pour des raisons qui me sont personnelles, je n’avais pas à cet instant précis le goût à la lecture. Pas du tout, même. À tel point que le précédent livre, je ne m’en souviens pas. Je l’ai lu sans lire, je n’en n’ai rien retenu, pas même le titre. Juste l’éditeur et le nom de l’auteur. Un bon éditeur pourtant, un livre qui avait retenu mon attention... Bref, était-ce bien le moment ?
Mais revenons à « Simple mortelle ».
Pour faire court, disons que de manière classique mais diablement efficace, Lilian Bathelot a recours à deux voix pour propulser son récit.
La première est celle de Nicole, une jeune institutrice qui tient un journal dans lequel elle raconte son arrivée à Mallisègre, ce minuscule et fictif village de l’Aude où elle vient prendre son premier poste. Jeune institutrice, oui ; jeune, plus tout à fait. Disons qu’elle a eu le temps de se marier, de divorcer, d’élever ses trois enfants et ceux-ci de quitter le nid. Elle y rencontrera aussitôt Louis, un homme qu’elle aimera tout aussitôt avec passion. Un être rare, entier, intelligent, instinctif, qui lui fera découvrir entre autres choses les joies du sexe et sa vision du monde. Cette voix-là est une voix humaine, vivante, pleine d’émotions, de ressentis.
La seconde, celle du narrateur, fort différente, nous plonge tout de go dans une ambiance polar plus froide, plus clinique, et nous relate des évènements qui vont compléter petit à petit le journal de Nicole.
Deux voix, deux styles.

« Simple mortelle » est plein de choses à la fois dans un tout parfaitement cohérent.
Simple mortelle s’avance doucement vers une fin que l’on pressent tragique et infiniment injuste, mais qui a dit que la vie ne l’était pas, surtout quand les dés sont pipés : un combat politique qui va mal finir (une ZAD contre la construction d’un barrage), totalement inégal quand le pouvoir en place met en œuvre des stratégies machiavéliques pour discréditer les zadistes, avec l’indispensable concours des médias officiels. Extrait : « Il suffit de voir comment ils parlent d’un truc où tu étais toi-même, pour comprendre comment ils racontent les autres histoires. Du résumé, des erreurs, du déformé… Et du trafiqué même, quand il faut que ça colle. »

« Simple mortelle » est un livre sur la renaissance.
Celle de Nicole qui découvre sur le tard la vraie vie – et quoi de mieux que la campagne pour ça – l’amour et le sexe, la profondeur des êtres, la vérité des choses.
Et celle de Louis que la guerre d’Algérie avait transformé en loup. Il redeviendra un homme, un vrai, un bon, malgré son manque d’instruction mais doué de cette intelligence profonde des gens de la campagne, qui prennent le temps de réfléchir et le font avec bon sens.

« Simple mortelle » pétille d’intelligence et de sensibilité et me touche particulièrement. Il résonne en moi et réveille quelques souvenirs : qui sait encore que l’on faisait du tir à la carabine dans les écoles primaires ? Moi, je me souviens des séances de tir sous le préau, c’était en 1969/1970, j’aimais ça. Lorsque j’avais raconté cette anecdote à ma bien-aimée, elle-même institutrice, elle n’en revenait pas… et ma mère qui se prénomme Nicole était elle-même institutrice dans un tout petit village. Deux classes : une pour elle, une autre pour mon père.
Voilà, on pourra dire alors que je ne suis pas tout à fait objectif, mais qui l’est vraiment, sans rire ?
« Simple mortelle » l’est, simplement mortel.